samedi 29 juin 2013

Friedrich aux oubliettes


Lorsqu'une mode remplace la précédente, elle l'ensevelit sans distinguer le bon du mauvais. Puis périodiquement renaissent des gouts, des styles similaires, et si les ferveurs religieuses et les vagues de fureur intégriste n'ont pas tout détruit au passage, quelque spécialiste exhume un jour des œuvres perdues au fond d'un musée de province et reconstitue avec peine des bribes de la vie d'un artiste oublié.
Ainsi furent ressuscités Vermeer et Georges de La Tour au tournant du 20ème siècle, et quelques décennies plus tard, Caspar David Friedrich. Reconnu depuis comme un des plus sublimes paysagistes de la peinture occidentale, Friedrich reste méconnu et rare parce que tous ses tableaux sont exilés dans des musées lointains de Russie et de l'est de l'Allemagne.

Et si la presse avait fait son métier qui est d'informer, vous auriez certainement su que 18 chefs d’œuvre du peintre étaient regroupés durant trois mois au musée du Louvre dans l'exposition « De l'Allemagne 1800-1939, de Friedrich à Beckmann » qui vient de fermer. Jamais les Français n'avaient vu autant de tableaux de Friedrich réunis depuis la mémorable exposition de l'Orangerie sur la peinture allemande à l'époque du romantisme, fin 1976.
Mais la presse n'a pas daigné informer sur cette réunion exceptionnelle. Tous les articles sur l'exposition, nombreux, n'ont eu de mots que pour une polémique imbécile soulevée par la presse allemande à propos de l'histoire de l'art qui conduirait inévitablement au nazisme.

Il faut reconnaitre que le Louvre aura tout fait pour rater le rendez-vous. Le gros et couteux catalogue de l'exposition, par exemple, n'en est pas un. En principe, un catalogue contient au minimum une liste énumérative méthodique et commentée des œuvres exposées. Ici, rien de tout cela. Vous ne saurez (et encore, partiellement) ce qui était exposé que par des illustrations éparpillées.
Par ailleurs, hormis Friedrich, un paysage de Böcklin, quelques œuvres de Carus, d'Otto Dix et des portraits au crayon de Menzel, étaient accrochées là les peintures les plus laides que le 19ème siècle a produites. Von Marées, Von Stuck, Böcklin, Corinth, et les peintres nazaréens affectés et empesés, cautionnées par les divagations pseudo-scientifiques de Goethe sur les couleurs. Une ratatouille de romantisme et de symbolisme un peu trop cuits surnageant dans une sauce de légendes germaniques et de religiosité.

On comprend qu'au milieu de ce vacarme idéologique il était inattendu de découvrir ces paysages silencieux de Friedrich et leurs minuscules personnages qu'on ne voit que de dos, perdus dans des brumes glaciales, des ciels d'orage ou des aubes éblouissantes.

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Reconstitution de la liste des tableaux de Friedrich exposés au Louvre du 28 mars au 24 juin 2013 :

Brume matinale en montagne 1808 (Rudolfstadt) - illustr. centre droite 
Paysage du Riesengebirge 1810 (Moscou M. Pouchkine) - ill. bas gauche
Riesengebirge au clair de lune 1810 (Weimar musée d'état)
Ville au clair de lune 1817 (Winterthur)
Neubrandenburg 1818 (Greifswald Landesmuseum)
La cathédrale 1818 (Schweinfurt)
Nuit au port (les sœurs) 1818 (Munich NeuePinakothek)
Femme devant le soleil couchant 1818 (Essen Folkwang)
À bord du voilier 1819 (St-Pétersbourg Ermitage)
Tombeau hunnique en automne 1820 (Dresde GNM)- illustr. bas droite
L'arbre aux corbeaux 1822 (Paris Louvre)
Paysage rocheux Elbsandsteingebirge 1823 (Vienne Belvédère)
Matin en montagne (170cm) 1823 (St-Pétersbourg Ermitage) - ill. haut droite
Le tombeau d'Ulrich von Hutten 1824 (Weimar musée d'état)
Le Watzmann 1824 (Berlin Alte Nationalgalerie) - illustr. haut gauche
Entrée de cimetière (inachevé) 1825 (Dresde Galerie Neue Meister)
Le temple de Junon à Agrigente 1828 (Berlin Alte Nationalgalerie)
L'étoile du soir 1830 (Francfort) - illustr. centre gauche

L'exposition de 1976 (voilà 37 ans), monumentale, était presque une rétrospective Friedrich. Il y était de loin le mieux représenté, avec 38 œuvres (sur 255), dont 27 toiles. Parmi elles, La Grande Réserve et Tumulus dans la neige du musée de Dresde, Lever de lune sur la mer de Berlin, Prairies près de Greifswald de Hambourg. Brume matinale, Paysage du Riesengebirge et 4 autres toiles de l'exposition de 2013 y étaient également.

dimanche 23 juin 2013

Le ministre et le nénufar

La réforme de l'orthographe 
Contrarie les paléographes 
Depuis qu'un L vient d'être ôté 
À imbécillité.
Pierre Perret, La réforme de l'orthographe, dans l'album Bercy Madeleine (1992)

Michel Rocard est un homme d'état convaincu, gestionnaire avisé, internationaliste passionné.
À 83 ans il résume sa vie en 5 épisodes de 30 minutes diffusés sur France-culture dans l'émission À voix nue, du 17 au 24 juin, et les enregistrements sonores en sont disponibles. Clarté, verve, éloquence.

Dans le 4ème épisode, il est premier ministre de la France et pilote la rectification de l'orthographe française de 1990. Il revient longuement sur les intentions commerciales et géopolitiques de la réforme, les anecdotes, les règles absurdes, le délire des défenseurs de l’inviolabilité de l'orthographe sacrée, les coups bas de Mitterrand, de François Cavanna, de Jean Dutourd et les trois camions de policiers chargés de protéger des rectifications si minimes que personne, vingt ans après, ne les connait ni ne les applique, excepté les grands dictionnaires, les correcteurs des logiciels de traitement de texte, et Ce Glob est Plat.
C'est entre la 9ème et la 23ème minutes de l'épisode.

Après quoi vous ne serez plus surpris de trouver ainsi écrits boite, chaine, aigüe, ambigüité, règlementaire, ile, joailler, imbécilité, serpillère, charriot, ognon, flute, gout ou aout, avec 1400 autres mots.


Le 8 juin 1985, le président de la république des Seychelles, Albert René France, inaugurait l'électricité sur l'ile paradisiaque de La Digue. L'évènement se déroulait en créole.

lundi 17 juin 2013

Du bruit qui pense

Anges musiciens, détail de la porte centrale de la cathédrale de Florence, bronze d'Augusto Passaglia (vers 1899-1903)


Par les pluvieux après-midis de printemps, quand le temps s'étire sans fin, quand l'ennui s'insinue jusque sous la peau, quoi de plus doux, de plus réconfortant, que d'écouter un peu de musique classique dont les grands auteurs disent qu'elle calme même les douleurs les plus sourdes.

Mais tout le monde n'a pas été initié à la culture classique. Aussi pour révéler à chacun cet univers si raffiné, les grandes entreprises de la culture ont-elles déployé les puissants moyens de l'Internet. Rendez-vous par exemple dans le magasin en ligne de la firme à la pomme, qui a vendu 25 milliards de morceaux de musique.
Il est accessible de n'importe quel ordinateur ou téléphone moderne. Il faut ouvrir le logiciel gratuit iThunes (tout un programme) puis dans le choix des Genres opter pour Classique, enfin appuyer sur Classement. Vous êtes transportés sur la page Classement Albums classiques, classée par défaut dans l'ordre des meilleures ventes. Les plus grands chefs d’œuvre classiques de l'humanité dégoulinent alors sur la page.
Et vous pouvez écouter quelques secondes, voire une minute de chaque, sans payer !
Pour l'édification des nouveaux-venus dans cet univers de consolation et de joie, voici quelques albums choisis parmi les premiers de la liste (le classement peut avoir changé depuis la réalisation de cette chronique).

Le premier album, « Getz/Gilberto » , est un mélange de jazz et de bossa-nova où le saxophoniste Stan Getz et Joao Gilberto interprètent Carlos Jobim. Splendide album qui n'est pas vraiment de la musique classique, mais sans conteste un classique de la musique. Qu'importe, l'excellence se joue des catégories.

Le quatrième album, après les nocturnes pour piano de Chopin par Arthur Rubinstein, est « Les essentiels de Ludovico Einaudi ». Einaudi est un musicien contemporain, pianiste minimaliste, très apprécié dans le monde du cinéma et de la publicité. La grande force de sa musique est qu'à la première écoute l'auditeur a l'impression de la connaitre déjà et de l'avoir beaucoup entendue.

Le huitième album est le « Requiem » soi-disant de Mozart. Musique obèse, très peu de Mozart qui est mort pendant sa composition, achevée par quelques élèves zélés, notamment le médiocre Sussmayr.

Le quinzième album s'intitule « Je n'aime pas le classique, mais ça j'aime bien ! » Il compile 45 des piliers de la musique classique, en commençant par les pièces favorites des mélomanes nazis (Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss, Carmina Burana de Carl Orff et la chevauchée des walkyries de Richard Wagner), suivies de 42 tubes bien connus des amateurs de publicités. Étrangement, aucune musique de Beethoven dans ces merveilles de pesanteur. Mais signalons que devant le succès de l'objet l'éditeur a réitéré avec « Je n'aime toujours pas le classique, mais ça j'aime bien ! », placé en quatre-vingtième position. Beethoven y fait une entrée remarquée avec trois pièces.

Le vingt-cinquième album est « Héros Legio patria Nostra », recueil de chansons et chœurs de la Légion étrangère. Là encore, ce n'est pas réellement de la musique classique, mais on y trouvera les grands classiques du bon goût (le boudin, un dur un vrai un tatoué, le chant de l'oignon, une reprise du boudin, Lili marleen) et la Marseillaise, hymne de tous les amateurs de la musique qui en a.

Arrêtons-là ce panorama (1). On comprend pourquoi certains l'appellent la Grande Musique. Victor Hugo, grand aussi, aurait déclaré de la musique que c'est du bruit qui pense. On ne saurait mieux dire.

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(1) Le mélomane pointilleux qui aura remarqué quelque anomalie dans les choix de la firme à la pomme se repliera vers des magasins en ligne plus sérieux, Qobuz par exemple.

dimanche 9 juin 2013

Vive Taco Dibbits !


Taco Dibbits est directeur des collections du Rijksmuseum, le musée des arts hollandais à Amsterdam. Bien qu'il ne représente qu'un microcosme restreint à l'art hollandais (à part une collection d'art oriental), et qu'il n'ait pas l'envergure internationale des plus grands temples de l'art, tout le monde pense qu'il est un des plus beaux musées du monde.

Car, comme la National Gallery de Londres ou le Prado de Madrid plus récemment, le Rijksmuseum présente depuis quelques années sur son site Internet une grande partie de ses collections dans de magnifiques reproductions en haute définition et accessibles à tous sans restriction.
Pire encore, dans une entrevue récente citée par le New York Times, Taco Dibbits persiste dans ses idéaux libertaires et encourage le téléchargement et la réutilisation à outrance dans les réseaux sociaux des splendides reproductions qu'il met à disposition gratuitement.

Ses arguments sont des plus simples. Le musée est une institution publique, ce qu'il expose appartient à tous. Et comme il est impossible de contrôler l'utilisation des reproductions qui circulent sur Internet, autant qu'elles soient de la plus haute qualité possible plutôt que les mesquines copies pisseuses qu'on y voit habituellement.
« Même sur du papier-toilette, je préfère voir une reproduction d'un Vermeer du musée en très haute qualité » déclare-t-il.

Il a raison. La renommée d'un musée ne se fait certainement pas en y interdisant toute photographie et en présentant sur son site des reproductions anémiées et affublées de droits d'auteurs illégalement accaparés. Cette méthode, choisie par le musée d'Orsay, avec la bénédiction d'un ministre qu'on dit de la culture, condamne irrémédiablement un musée. Qui peut avoir envie de faire un long voyage pour visiter un musée dont il ne connait que de tristes clichés ?

Le nouveau site du Rijksmuseum, pour marquer la réouverture du musée après dix ans de travaux, présente aujourd'hui des reproductions d'une qualité exceptionnelle et qu'on croirait repeintes pour l'occasion. Signalons aux collectionneurs de liens qu'il sera nécessaire de renouveler ceux qui pointaient auparavant vers les tableaux du musée, car ils conduisent désormais dans le vide.

Pour la plupart des touristes du monde qui n'ont pas les moyens de naviguer autrement que sur Internet et n'iront jamais à Amsterdam, le Rijksmuseum est l'un des plus beaux musées du monde, loin devant les médiocres musées français comme le Louvre et Orsay.
Et ce portrait de jeune fille en robe bleu (détail en illustration ci-dessus) peint par Johannes Cornelisz Verspronck en 1641 est certainement pour eux le plus beau tableau du monde.

Maudits soient les revendeurs de cartes postales.
Béni soit Taco Dibbits.


vendredi 7 juin 2013

L'impondérable légèreté...


1971. Dans son film Trafic, Jacques Tati invente le carambolage poétique, une vision lunaire de l'accident de la circulation.
2013. Dans l'Ontario, trois automobilistes canadiens le réinventent spontanément.

Quand la vie imite les plus belles scènes de cinéma.


Petit aperçu en Gif animé